Nocturnes

« J’employais un vocabulaire précis, actif. J’écrivais à la main, patiemment, la version à laquelle je voulais me faire croire après le supplice dont je n’avais pas le courage de transcrire la langue de sperme et de sang. je choisissais les mots pour leur image, pour leur mélodie. Je donnais forme au rêve d’être une autre. Je m’abandonnais à un roman. Réfugiée dans l’écriture, je lui demandais d’atténuer, d’affaiblir le sens de ce que je ressentais, cette douleur qu’un homme avait introduite au fond de moi en quelques minutes et qui ne partait plus…

Mais les tiraillements de répulsion que je m’ingéniais à chasser du texte perduraient, inscrivaient des réminiscences,les brassaient à vif dans les phrases, me tordaient dans le bas-ventre. Malgré toute ma volonté de m’abstraire, mon corps ne se retenait pas de hurler.

Cette part de moi, détruite dans ma chair, j’avais cru pouvoir la retrouver vivante dans la littérature. »