Délivrance brisée, Chantal Chawaf
254 p
Editions de la Grande Ourse, 2013
Première page
« UN SALON
La nuit, aux portes du sommeil, ses pieds nus se cramponnaient au sol, son visage cireux simulait la vie, elle mimait la parole, elle continuait de m’envoyer d’outre-tombe ses appels à l’aide, il fallait lui présenter des hommes, elle voulait récupérer sa jeunesse brisée, sa peau voulait se recolorer, son sang se réchauffer, sa chevelure en cendres retrouver sa blondeur tombée en poussière. Le spectre voulait rejouer les premiers rôles, reprendre sa condition de jeune première sur la scène des vivants. Le monde de la mélancolie est un monde sans soleil. La dépression m’a pris la lumière.
Ville privée dans la grande ville publique, le hameau où Virginia Anderson habitait était une enclave de parcs et de jardins défendue farouchement par les alarmes, la vidéosurveillance, les portails blindés, les vigiles et les chiens policiers : un morceau de Paris confisqué par les hautes fortunes.
J’entreprends une confession pour guérir. J’entends mon cœur frapper dans mes oreilles, son bruit me brûle jusque dans la bouche où j’ai gardé l’arrière-goût du sacrifice. Comment tout dire? Écrire? J’ai trop écrit! Oh! pour elle, j’ai tellement écrit… Elle m’a fait écrire des milliers de pages pendant des années entières. C’était comme si la littérature pouvait tuer la mort. C’était la fusion du réel et de l’irréel. L’existence ment toujours. Mais je vais essayer de reconstituer le magnétisme du décor, essayer de me remettre dans l’état où j’étais, rêver que je reviens dans le salon du leurre où, à travers Virginia Anderson, je croyais le spectre tout proche..«
A propos de Délivrance brisée
« Par fidélité à son amie Irène, écrivaine oubliée qui vient de mettre fin à ses jours, Éliane, correctrice dans une maison d’édition parisienne, propose bénévolement ses services de nègre à une richissime Américaine. Chaque jour, elle se rend docilement dans la cage dorée de Virginia. Prise au piège dans les serres de l’Américaine et épuisée par le travail, la correctrice ne renonce pourtant pas, au cours de ces neuf mois, à tenir son engagement. Malgré leurs différences, les deux femmes sont unies par un désir de création plus fort que tout. Virginia, entre voyages, cocktails et séances de travail avec Éliane, dilapide des fortunes pour régaler les journalistes et les éditeurs, convaincue que c’est le seul moyen d’arriver à ses fins.«