Retable

Retable, la Rêverie – Chantal Chawaf

166 p

des Femmes – Antoinette Fouque, 1974
Réédition, 2004
Egalement en cassette, lu par l’auteur, aux Editions des Femmes, 1981
Traduit en anglais : Mother Love, Mother Earth, traduction de M. F. Nagem, 1993, Garland Publishing
 

couverture du livre de Chantal Chawaf Retable
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Première page

« I- Naissance

Cornue, l’herbe laiteuse éclabousse, étincelle, charrie en son courant vert, poils, plumes, cheveux, graines, ongles, nageoires s’entrelaçant, rayonnés par la membrane, paroi, pâte, laine d’entrailles, fruitière, lunaire, derrière les chênes, derrière les châtaigniers. Les débris, le mucus mouillent l’air, le petit marche, l’enfant comme l’appel hululé d’un adulte malade, comme le grelottement de se coucher, décharné, en position embryonnaire, sous la voûte cranienne, à l’emplacement de la lésion. Les nations s’écrasent entre leurs mâchoires, comme de la viande de bœuf dans leur bouche…« 

A propos de Retable la Rêverie

Ce sont les premiers textes de l’auteur.

Le premier texte,

Retable, de cette publication en diptyque est composée de trois tableaux : Naissance, Portrait, Mausolée. C’est le récit d’une  » enquête  » menée par une petite fille auprès de ses parents adoptifs sur sa mère. Enquête difficile dans laquelle les parents adoptifs se montrent pudiques, exclusifs, mensongers. Trois discours, donc, au moins, une vérité douloureuse, déchirée : la petite fille est née du corps mourant de sa mère : c’était la guerre, les traces sont brouillées qui conduiraient à cette courte vie de 9 mois  » avec  » sa mère : il reste ces souvenirs du corps : une écriture qui rompt la tradition de la narration, qui renvoie au travail d’accouchement, au corps en travail, travaillé, excédant ses limites, sans plus de dedans ni dehors. De cette mise au monde déçue, de cet arrachement au corps de la mère, demeure le désir de ce manque : la fille accouchant à son tour d’une fille retrouve la voie du vieux monde des pulsions tissées dans le rapport au corps de l’autre, femme, comme elle qui l’engendre, comme celle qu’elle engendre. C’est le renversement de la quête du père.

*

Le deuxième texte.

La Rêverie, n’est ni un roman, ni un récit, c’est l’histoire déroulée d’un acte d’amour dans ses replis, ses mouvements, ses odeurs… Le corps féminin y est tour à tour démantelé, reconstruit, déchiré, palpé, goûté, il y est nourriture généreuse, refuge monumental, il est ce corps non symbolisé, charnier sadique et caverne aux trésors pour l’homme, amant, enfant, fils. La Rêverie, c’est l’écrivain au masculin. Texte dans lequel l’instance masculine mène le jeu, trace les parcours sur et dans le corps, en fixe les repères, les déplace, jalonne le désir de sa marque.

Les deux textes de Chantal Chawaf, présentés en un seul volume, énoncent cette différence dite des sexes d’une manière imprévue et bouleversante, mettant en lumière ce qu’il en est d’une autre différence : la naissance d’un corps de femme et non plus la reproduction du corps maternel.

 
 
En 1974 paraissait un ouvrage d’une densité poétique peu commune (…) où s’inventait un langage pour dire à la fois la mort et la naissance, l’absence et la plénitude sensorielle. C’était dans Retable (Des femmes), déjà, l’évocation d’une naissance traumatique, celle d’une enfant arrachée au corps d’une mère mourante tandis qu’en contrepoint, dans La Rêverie, se déployait un cantique charnel.»
Monique Petillon, Le Monde, 8 mai 1998